Lui va semant partout ses chants et ceux des autres ;
Il va les yeux fermés et le front en avant,
Barde aveugle appuyé sur le bras d’un enfant ;
Enfin, quand ses cahiers courent chaque commune,
Il rapporte au logis sa petite fortune.
Le voici revenu depuis la fin du jour,
Et gaîment sur sa porte il chante son retour :
« Ma maison est bâtie au bord de la rivière,
Si son toit est en paille, elle a des murs en pierre ;
Comme cet ancien barde, harmonieux maçon,
Chanteur, avec mes chants, j’ai construit ma maison…
Ma chaumière, il est vrai, n’a pas une fenêtre :
Sans doute elle a voulu ressembler à son maître,
Elle est aveugle aussi ; notre sort est pareil ;
Comme moi, ma maison est fermée au soleil… »
Aucun de ces détails n’est de l’invention de Brizeux. L’auteur des Bretons ne connaissait Yann-ar-Gwenn que par ouï-dire. Il emprunte les éléments de son épisode à un article publié dans le Magasin pittoresque de 1842, avec un croquis représentant la petite maison du barde, la maison « aveugle » du val Suliet, aux bords de la rivière de Tréguier. Ce Yann-ar-Gwenn, disparu il y a une soixantaine d’années, jouissait en son temps d’une renommée extraordinaire. « Petit de taille, pâle et maigre de figure », si l’on en croit Olivier Souvestre, il était la joie, le boute-en-train de tous les pardons. La date de sa naissance n’est pas connue avec précision. Il dut naître, je pense, aux environs de 1774. Jusqu’à l’âge de dix-huit ans, il gagnait péniblement sa vie à teiller du chanvre ou du lin dans les fermes de Plouguiel, n’abandonnant ce travail sédentaire qu’aux approches de Noël « pour aller de porte en porte annoncer la bonne-nouvelle. »