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LE BARDE DU DINER CELTIQUE

aux terrasses des cafés et de l’y installer confortablement avec lui devant un bitter-curaçao. Ainsi le plus Breton des Bretons de Bretagne avait fini par devenir une « figure éminemment parisienne. » Les gazetiers ne s’en sont pas moins ébaubis devant l’étrange destinée qui faisait écraser ce primitif, cet homme d’un autre âge, par un automobile dont le conducteur s’appelait Agamemnon Schliemann. Sa fin est apparue aux plus érudits comme le dernier crime des Atrides ; pour d’autres elle a pris l’importance d’un symbole où l’écraseur représentait le Progrès, l’écrasé la Tradition.

Voici le dragon rouge annoncé par Merlin,


avait déjà dit Brizeux. Quellien, du reste, croyait fermement au « Sort » et que tout homme naît « voué », c’est-à-dire prédestiné. Il écrivait dans la préface de sa Bretagne armoricaine : « J’ai le pressentiment que les orages de la vie m’auront déraciné avant le temps. » Ces « orages de la vie », renouvelés de Chateaubriand, sont une façon de parler. Comme beaucoup de Celtes, notre ami n’était vraiment triste que la plume à la main ; dans l’existence courante, il n’y avait pas de plus gai, de plus exubérant compagnon. Mais enfin l’essentiel de la prédiction s’est accompli : Quellien a été déraciné avant le temps et comme il entrait seulement dans sa cinquante-quatrième année.

Ar c’hleier en Breiz hirvoude ;
Ann ekleo war-dro a lare :
« Piou a zo iaket en he ve ?… »