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ramage, devant la même écritoire, qui machinait, d’une âme ingénue, quelque nouvelle atrocité. À cette époque déjà, les forfaits qu’il avait perpétrés en imagination passaient le millier : on a dit qu’il en tenait registre, les viols sur une colonne, les assassinats sur une autre, les enlèvements sur une troisième : cette comptabilité méticuleuse lui aurait bien pris de son temps dont il était fort ménager. Il ne se relisait même point ; sa plume courait sur le papier comme l’eau court au moulin. J’ai vu de ses pages qui ne portaient pas une rature. Il achevait sa demi-main dans une journée et la remettait tout de suite au journal qui l’attendait. Sa vogue avait été prodigieuse sous l’Empire : ses Mystères de Bicétre, ses Drames des Catacombes, ses Nuits du boulevard passionnèrent un moment le Tout-Paris du cordon. Il balançait dans la faveur publique Capendu, Ponson du Terrail et Xavier de Montépin. On reconnaissait généralement qu’il n’avait pas son pareil pour l’agencement d’un beau crime et qu’inférieur peut-être dans la conduite ordinaire des événements il atteignait au sublime dès qu’une émotion un peu violente contractait ses personnages. Cela leur arrivait une fois au moins par feuilleton. Triomphe du pathétisme ! Oncques héros de romans ne saignèrent, tailladèrent, déchiquetèrent, victimèrent de toutes les façons leurs contemporains avec la maestria de Maman Rocambole et de l’Inconnu de Belleville. Tropmann lui-même baissait pavillon devant Zaccone. Par une ironie de sa destinée, cet homme d’extérieur si avenant, d’âme si candide et si douce, avait une imagination de boucher. Une fois