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LE PATRIARCHE DU ROMAN FEUILLETON

parisien. « Tout bulletin de sortie doit porter la signature d’un correspondant, me dit M. Lesage. Si vous n’avez point de correspondant, serviteur : vous resterez mon prisonnier ! » Quel nom donner ? Je ne connaissais personne à Paris. Et quel crève-cœur, cependant, si j’étais obligé de renoncer à ma première « sortie » ! Les larmes m’en venaient aux yeux.

— Eh bien ? dit M. Lesage.

— Eh bien, répondis-je, frappé d’une subite inspiration, j’ai un correspondant : c’est M. Pierre Zaccone. Vous pouvez l’inscrire de confiance sur mon bulletin ; ma famille l’a prévenu.

Je mentais comme un arracheur de dents. Mais l’occasion était pressante : Lucien Charles[1] et Louis Ningler, deux bouillants compagnons de chaîne avec qui j’avais combiné une expédition au Quartier-Latin, trépignaient d’impatience à la porte de l’institution et, d’ailleurs, en y réfléchissant, je pensais que je n’avais peut-être point été si téméraire de compter sur M. Zaccone, qu’il se rappellerait peut-être mon nom et m’accorderait sans trop se faire prier la signature de complaisance requise par mon impitoyable direc-

  1. Lucien Charles vient de mourir (6 mars 1902). Il était de Fresnes-sur-Escaut, et n’avait pas quarante ans. C’était un esprit charmant, facile et primesautier. Il a laissé de jolis vers épars dans les revues, une étude sur Biskra et quelques nouvelles qui mériteraient d’être recueillies. Avec quel serrement de cœur j’inscris au bas de cette page le nom de mon pauvre camarade ! Sans la longue et cruelle maladie qui le frappa en pleine jeunesse, Charles n’eût point fait faillite au capital d’espérances que nous avions placé sur sa tête. Décidément oui, la nature est une grande gâcheuse.