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lui avions dédié une nouvelle qui avait pour cadre le pays qu’il habitait et j’ai encore très présente à l’esprit l’impression que, sur l’étroit chemin de ronde qui longeait la grève, par une claire matinée de juillet, nous fit ce souple et robuste métis d’Italien et de Bretonne, drapé, comme un rabbi de M. James Tissot, dans un grand burnous de flanelle blanche et qui semblait échappé de quelque sanhédrin. Il voulut bien nous inviter à l’accompagner jusqu’à sa villa. Nous en étions tout proches. On la voyait à mi-corps, dans une épaisse ceinture de troènes, de gattiliers et de tamaris, sur le cap étroit qui fermait la baie et qu’elle dominait de ses vertes persiennes. C’était bien la maison qui convenait à ce sage. Il y demeurait déjà la plus grande partie de l’année. Il aimait cette « armor » finistérienne, cette pointe extrême de pays qu’il avait faite sienne à force de patience et d’obstination, muée d’une lande pierreuse et rase en une miraculeuse oasis de verdure. Il passait le reste de l’année à Paris, dans son petit appartement du Faubourg-Poissonnière, et c’est là que je le revis certain dimanche d’octobre 1880 et que j’appris surtout à le connaître.

J’avais dix-sept ans ; j’étais candidat à l’École Normale et, en attendant de montrer patte blanche — sans succès — au guichet de ce rébarbatif établissement, je suivais avec plus de mélancolie que de passion le cours de rhétorique supérieure du lycée Charlemagne. Boursier de l’institution Massin, quand sonna l’heure tant escomptée de ma première libération dominicale, M. Lesage, qui était notre directeur, s’enquit du nom et de l’adresse de mon correspondant