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UNE DÉRACINÉE

Tristes fruits de la transplantation[1] et combien il faut louer les hommes d’œuvre comme l’abbé Cadic qui, depuis quelques années, s’efforcent de rétablir le lien rompu, de rendre aux isolés de l’émigration bretonne le contact avec les autres émigrants de leur race, de reconstituer pour eux, en plein Paris, le clan originel, la mystique patrie perdue ! En 1839, malheureusement, l’abbé Cadic n’était pas encore de ce monde ; la « paroisse bretonne » n’existait pas et l’on a quelque droit d’inférer que, chez une Henriette Renan comme chez les plus humbles émigrantes de sa race, le détachement religieux fut pour autant le résultat de la transplantation solitaire que d’un sourd travail de conscience. L’étude, les voyages, une culture scientifique, poussée au contact des esprits les plus éminents de l’Allemagne, achevèrent sans doute d’orienter sa pensée dans le sens d’un nihilisme philosophique dont il n’y a pas trace dans sa vie morale.

  1. Ce passage et les précédents ayant prêté à quelques contestations, je ne puis mieux faire que de citer ici l’opinion de M. Tabbé de Toux, vicaire à Saint-Denis et Breton lui-même : « Nos populations bretonnes, guidées chez elles par de traditionnelles coutumes et les influences locales, sont peu armées pour résister aux tentations et aux entraînements de milieux moins bretons que le leur… Ces natures simples et confiantes de Bretons, habituées à se laisser vivre honnêtement et chrétiennement, presque sans effort, subissent tout à coup la rude et desséchante influence de milieux démoralisés et impies et sont incapables d’y résister efficacement. » (Lettre à la Semaine religieuse de Saint-Brieuc.)