Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/138

Cette page a été validée par deux contributeurs.

réseau de pratiques superstitieuses où sa vie est prisonnière en Bretagne, le Breton ne dispose d’aucun moyen d’affranchissement ; le surnaturel l’enveloppe, l’oppresse de tous côtés. Il est l’acolyte d’on ne sait quel mystérieux officiant. Chacun de ses actes est déterminé par une intervention supérieure, soumis à un rite précis. Le vent, le bruit des feuilles, la chute lente des gouttes d’eau sur la dalle du foyer l’agitent comme des avertissements. Toutes ses paroles sont des prières, de balbutiantes et mélancoliques formules. Devant sa porte, le soir, à l’heure de la première étoile et des labeurs finissants, une impalpable poussière d’âmes se mêle encore à l’air qu’il respire, gâte jusqu’au goût de ses aliments les plus humbles, lui voile l’exquise douceur du ciel. La hantise de la mort est le fond trouble de la religion bretonne.

Mais cette religion spleenétique, vieux legs du naturalisme ancestral[1], est inséparable du milieu où elle est née. L’exilé ne peut remporter avec lui, non plus que le brouillard nocturne ou la cendre des crépuscules. De là ces abattements, ces clameurs désespérées, l’espèce d’anéantissement qui suit les premiers instants de sa transplantation. La crise est brève. Une fois passée, le Breton se réveille un autre homme. Ou plutôt c’est le même homme, la même âme extrême à un pôle opposé de la vie morale. L’air naturel qu’il respire pour la première fois l’enivre exactement

  1. Et auquel le catholicisme est parfaitement étranger. Il serait messéant, en effet, de ne pas tenir compte au clergé de ses louables et persistants efforts pour éliminer de la conscience bretonne ces sédiments de paganisme.