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mourir avec vos tergiversations, monsieur Pâques.

— Ah ! monsieur le vicomte, pardonnez-moi… J’avais rêvé que vous me donniez en cadeau une de vos cannes.

Ce disant, M. Pâques coulait des regards d’envie vers un vieux jonc tordu, éraillé, qui servait au valet de chambre pour battre le lit de Chateaubriand, mais qui, en des temps plus heureux, avait eu l’honneur de soutenir la marche du grand homme quand il gravissait les pentes du Sinaï.

Chateaubriand sourit.

— Soit, fit-il, la canne est à vous, et comme je n’ai qu’à me louer de vos services, monsieur Pâques, je mettrai le comble à mes bontés en attestant par écrit que cette canne est bien ma canne du Voyage à Jérusalem.

Malheureusement pour M. Pâques, Chateaubriand avait la goutte ce jour-là. Il remit au lendemain de rédiger son certificat. Le lendemain il tomba malade et, comme il était fort vieux, la maladie ne fit qu’empirer et le conduisit au tombeau en quelques semaines, M. Pâques n’eut jamais son attestation. Il la remplaça par les cheveux du grand écrivain recueillis chaque matin aux dents du démêloir et dont il composa après la mort de son client un paysage capillaire qui représentait une urne, un cénotaphe et un saule pleureur.

Le cénotaphe portait pompeusement : « Aux mânes de M. le vicomte ! » Et il se peut bien en effet que ce fût la sorte de monument qui convînt le mieux à M. le vicomte : il y avait assez d’hommes en Chateaubriand pour fournir à plusieurs tombeaux.