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présence du grand homme. L’hospice s’était annexé une fabrique de chocolat. La mode s’établit dans le monde de ne plus se fournir que chez les religieuses de la rue d’Enfer, qui avaient imaginé cette prime étrange, invraisemblable, digne de Barnum, de « montrer » Chateaubriand à tout acheteur d’un paquet de douze livres pesant.

Chateaubriand n’était pas sans se douter du petit trafic qui se faisait sous son couvert.

« La sœur supérieure, écrivait-il, prétend que de belles dames viennent à la messe dans l’espérance de me voir ; économe, industrieuse, elle met à contribution leur curiosité ; en leur promettant de me montrer, elle les attire dans le laboratoire ; une fois prises au trébuchet, elle leur cède, bon gré, mal gré, pour de l’argent, des drogues en sucre. Elle me fait servir à la vente du chocolat fabriqué au profit de ses malades… La sainte femme dérobe aussi des trognons de plume dans l’encrier de Mme de Chateaubriand ; elle les négocie parmi les royalistes de pure race, affirmant que ces trognons précieux ont écrit le superbe Mémoire sur la captivité de Mme la duchesse de Berry !…»

Si dévot qu’il fût aux bonnes sœurs de la rue d’Enfer, Chateaubriand ne laissait pas cependant de leur brûler la politesse, le moment venu, pour ses petites débauches hebdomadaires avec Béranger et le pèlerinage quotidien qu’il accomplissait à l’Abbaye-au-Bois, où demeurait Mme Récamier. Elle était la dernière passion de sa vieillesse ; une communauté d’infortune avait contribué à resserrer leurs liens. Les sottes spéculations du mari de Mme Récamier l’avaient