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marie le franc

prêtent. Elle n’a pas de termes assez chaleureux, assez délicats pour les vanter. Les autres, ah ! c’est dans le vocabulaire de gauche qu’elle puise à leur intention, si généreusement que Julien va fermer les portes quand elle est en train. Le garage périclite malgré ses efforts. Le shérif menace, l’hypothèque grogne. Il va falloir vendre. Chaque après-midi, elle va à l’office du real estate. Elle se garderait bien de l’appeler une agence d’immeubles. Employer le terme français lui paraît dans certains cas d’un précieux insupportable. Elle voit sur la porte tournante : « Smith and Smith, real estate ». Et real estate, Smith and Smith demeurent.

Chapeau emplumé, yeux au frais sous la voilette, fine odeur, sourire qui se réserve, elle a son air de grande dame. Elle discute les propositions les plus inattendues : c’est le gouvernement qui veut acheter pour la remonte, c’est une entreprise de cinéma, un inventeur, un fabricant de vernis d’automobiles, un professeur d’équitation, des architectes, des avocats, des notaires. On emploie un vocabulaire qui est un compromis. Jeannine parle une langue métisse que les autres approuvent, dans leur parisian french : « C’rect, Madame ! » à chaque phrase. Elle inscrit les rendez-vous. Chez elle, le téléphone sonne sans arrêt. Les gens d’affaires sont, comme ceux du monde, divisés en deux