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qu’elle appelle le monde cheval. Jeannine, une alliée, est une des cent petites façons de « faire leur part » et de rester à l’arrière. D’autres arrivent on ne sait d’où avec des autos éclaboussées qu’ils remisent précipitamment comme on fourre quelque chose dans un tiroir. Le numéro est aussi illisible que le collier d’un chien sans licence. Elle acquiert la réputation d’une femme qui essaie de tenir le coup. Les hommes, ceux qui sont down-town le matin et à Hill-Park l’après-midi, affaires et cheval, l’admirent. Pas un créancier n’oserait poursuivre. Elle signe des billets. Julien prête ses économies de vieux garçon et devient à son service laveur d’autos, laveur de chienne, d’assiettes. On emprunte à droite et à gauche : à un gérant de cercle, au cuisinier français du restaurant où Théo emmenait souper ses conquêtes, à une petite femme chancelante qui se raconte à Jeannine quand elles chevauchent côte à côte et à qui Jeannine essaie de donner une stabilité générale, au groom de l’écurie, car ce sont ces gens-là qui ont du cœur. La banque ne prête plus, les dames huppées de la colonie ne l’invitent plus à leurs thés, le consul l’a appelée à son bureau et lui propose de la faire rapatrier, ce qui l’a rendue furieuse. Banque, consulat, colonie, la dégoûtent. Jeannine, à cette période trouble où il est nécessaire de simplifier, met dans le plateau des belles âmes tous ceux qui