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marie le franc

perflus. Exhibition de dessous roses. La femme de chambre, accroupie, défait les over-shoes à fermeture éclair.

Jeannine paraît si rarement dans un salon qu’elle a l’air de l’invitée de marque. L’hôtesse la prend par le bras, lui chuchote à l’oreille : « Pas de blagues, hein ? » Et elle promet de bien se tenir, de ne pas employer de langage incongru, d’être tout à fait du monde. Elle se laisse conduire à un fauteuil. Les messieurs se rapprochent. Elle a ses grandes et charmantes manières. Les Anglais qui sont là n’ont jamais rien vu de si fascinating et murmurent sous leur haleine : « By Jove ! » Il n’y a qu’elle pour dire sans platitude, d’égale à égaux et cependant avec l’onction voulue : « Monsieur le Consul, Docteur, Colonel ». Parbleu ! elle a entendu dire colonel toute sa vie. Elle a un oncle général défense-de-Verdun.

Elle est coiffée à la russe pour la circonstance, frange sur le front, torsade autour de la tête. Elle a sa voix, son sourire, de l’époque du couvent de Bruxelles. Le sautoir d’or du face-à-main remplace sur sa poitrine la chaînette d’argent et la médaille. Elle porte sa robe des grandes occasions, la robe mauve de sa tante la préfète, qu’elle a reçue par la valise diplomatique. Sa voix reste sonore, mais elle a pris du bouquet : elle pétille et se dore pour le salon. Il semble qu’il y ait une