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visages de montréal

quant. Ou bien il y a des gens d’odeur forte, des Italiens qui sentent l’ail, des plombiers qui sentent la conduite, des Chinois qui sentent l’encens. Elle aime pêle-mêle des histoires où il y a de la neige, des naufrages, des cow-boys, du péril, de la hardiesse, du dévoûment. Celles où les hommes ont les qualités des loups, des chiens et des chevaux. Les femmes l’intéressent en tant qu’elles savent leur donner la réplique.

On est bien là, dans le noir, les mains au bord du manchon où l’on tient en réserve la boîte de pastilles de cachou. Parfois les larmes coulent, si impersonnelles qu’on croit que c’est quelqu’un d’autre qui pleure. On oublie les embêtements : les taxes impayées sur la « boîte », la menace de vente forcée, la douleur dans l’épaule, la hanche et la tempe, partout où on a été blessée dans une chute de cheval, les frasques du mari, sa nouvelle maîtresse, sa nouvelle auto, sa dispute avec le boss. On oublie que le cheval Betsy boitait aujourd’hui, que Nanki se gratte et que l’appartement est mal chauffé. On oublie la lettre « registrée » par laquelle un actionnaire de Lille réclame et menace de mettre « le colonel » au courant. Seul un actionnaire de Lille peut avoir de pareilles méthodes ! Encore s’il n’y avait que son père, le colonel… Mais que deviendrait la fragile maman secouée par ces histoires ? On rêve à des amours