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visages de montréal

comprendraient parfaitement, mais cet échange leur plaît. Le postman n’a dans cette rue de cliente française que Jeannine. Il croit particulièrement « chic » de se servir avec cette Parisian lady de bribes du langage qu’il entend à la poste. De son côté, Jeannine a pour principe de répondre en anglais à tous ceux qui sonnent à l’appartement : le blanchisseur chinois, le marchand de journaux juif, les agents d’assurance américains, l’employé du gaz franco-canadien, les représentants de gramophones et de vacuum cleaners, l’Armée du Salut.

Elle retourne à sa chambre, passe un peignoir. Le facteur s’avance dans la pénombre du vestibule. Il pose sur la table du téléphone son carnet de signatures, l’ouvre d’un pouce humecté, et attend, le poing sur la hanche, la casquette rejetée en arrière, le regard dans la direction de la chambre. Il est patient, car il mâche du chewing-gum. Voici Jeannine. Elle a ses bigoudis, mais des bigoudis sans laideur. Ses cheveux blonds forment un rouleau soyeux sur le front et à chaque tempe, et on dirait qu’elle s’est composé pour la nuit une coiffure. Elle a deux grosses nattes qui lui battent les flancs.

Elle se penche, pour signer, jusque sur le pouce du facteur, car elle est myope. Le facteur regarde la peau merveilleuse de son cou teinté d’ambre. Ses seins parfaits se dessinent sous le peignoir qu’elle