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marie le franc

Louise Fourcade aurait dans la gorge son petit rire de tourterelle. Elles dresseraient comme deux sœurs le couvert. Elles approcheraient de la table la chaise du prince ainsi qu’on traîne une chaise d’invalide. Peut-être le couchant frapperait-il à ce moment le mur d’une lueur et se croiraient-ils entre les maisons de brique rose de Toulouse…

Elle se les représente tous les deux à l’avant du navire où les passagers de troisième ont le droit de se tenir. L’Empress va passer sous le pont de Québec. Par un effet d’optique que les officiers expliquent à chaque voyage aux jeunes passagères avec lesquelles ils ont, au bout d’un jour de navigation idéale sur le Saint-Laurent, commencé un flirt, il semble que le navire soit trop haut pour passer. Le tablier métallique va faucher les mâts énormes, les cheminées épaisses. Les passagers, les yeux levés, se cramponnent aux rambardes. Le pont se rapproche, fabuleux. La sirène siffle : le voici au-dessus de la tête. On rentre le cou dans les épaules en poussant un cri.

Mlle Lucienne a éprouvé, à chaque traversée, cette angoisse… Le prince est debout à l’avant. Il dépasse de la tête le troupeau des émigrants. Il est au-dessus d’eux le mât que le couperet va faucher…

Elle a la même épouvante qu’au temps où, en-