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marie le franc

demain La Presse n’annonçât en manchette que Briand et Caillaux étaient des misérables.

Lorsqu’il se rapprocha des dames, elles lui firent raconter sa fuite du camp des Bolcheviks. Il s’était sauvé presque en chemise, disait-il, et cette expression parut saugrenue à entendre, prononcée par cet homme en redingote dans ce salon. Elles furent très impressionnées par l’histoire du chien crevé que les fuyards, mourant de faim, avaient trouvé aux abords d’un village désert et fait rôtir en alimentant le feu avec une porte arrachée à une grange. Mlle Lucienne connaissait déjà ces détails. Leur petit nombre raccourcissait la fuite. Ils ne suffisaient pas à remplir les trois jours et les trois nuits qu’ils avaient mis, disait-il, à franchir les Karpathes. Les passes de la montagne se réduisaient à un fossé où des vagabonds affamés faisaient rôtir un cadavre de chien. Son prince diminuait d’ampleur. C’était grâce à elle qu’il avait été invité à cette soirée qui se terminerait, elle le savait, par un souper substantiel dont elle se réjouissait d’avance pour lui et sa cousine, et elle eût voulu que la gentille Mme Vadeboncœur, qui recherchait pour ses réceptions la note inédite, n’en fût pas pour ses frais. Si Mlle Lucienne eût pu lire dans les cœurs, et surtout dans les imaginations, elle se fût rassurée. Il n’y avait personne qui n’éprouvât, en regardant Stépa-