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visages de montréal

vases remplis de plumes de paon, et abattaient d’un seul trait une allée de peupliers.


La femme de l’officier canadien les invita à une de ses soirées. Le prince y parut, parmi les smokings, en pantalon rayé et redingote ; leurs malles s’étaient égarées dans le voyage de San-Francisco à Montréal. Mlle de Chantenay avait ses beaux yeux de douceur, sa peau mate, son nez aquilin, un camée fermant l’échancrure de sa robe de velours. Assise au milieu d’un canapé, entre deux femmes dont les robes roses remontaient au-dessus de leurs genoux croisés, elle avait l’air d’un portrait ancien. Elle ne connaissait personne, à part Mlle Lucienne, qui lui sembla distraite, moins aimable que de coutume. Les hommes formaient un groupe à l’autre bout du salon. Ils discutaient la situation financière de la France. On entendit les noms de Briand et de Caillaux. Le prince dit : « Le misérable ! » sans que l’on sût auquel des deux s’appliquait l’anathème. Mlle Lucienne en ressentit du mécontentement. Elle le trouvait moins russe ce soir, peut-être à cause de sa redingote bourgeoise. Elle lui en voulait de parler des choses de France d’un ton comminatoire devant des étrangers, surtout qu’elle reconnaissait dans l’assistance un journaliste du terroir, et elle craignait que le len-