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marie le franc

chaussettes, lavait même les draps quand la salle de bain de l’étage était libre.

Il conservait dans le monde son grand air, avait bonne mine grâce à sa pelisse fourrée, sa toque de loutre, son jonc à bande d’argent.

Quand on les invitait l’après-midi, on remplaçait les petits fours du goûter par des sandwichs au jambon. Il y plantait ses dents de loup, tout en dissertant de l’élongation de la planète Mercure et des théories d’Einstein. Les profanes ne comprenaient pas le rapport, malgré les ellipses qu’il traçait sur le tapis, du bout de sa canne.

Ce prince russe avait une connaissance extraordinaire des gens et des choses de France. Un jour qu’il venait d’entendre une conférence d’une universitaire française qui débitait le symbolisme par tranches claires, deux fois par semaine, de cinq à six, aux étudiants échoués dans les fauteuils confortables du Modern Languages Hall, encore tout suants d’une heure de patinage — la patinoire était à la porte, et de l’amphithéâtre on entendait le roulement des patins — il avait dit à la conférencière, au moment où elle enfilait son manteau de muskrat :

— Vous venez de la Corrèze, n’est-ce pas ?

La jeune fille avait rougi, peut-être parce qu’elle était de la Corrèze, en effet, peut-être parce que le nom de son village — il s’appelait