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marie le franc

ses gants sur la table, ses snow-boots sur la rosace centrale du linoléum, traîna le fauteuil à bascule près du radiateur, déplia un journal.

On entendit dans l’autre pièce un bruit d’eau qui coulait d’un robinet, un tintement de vaisselle. Au bout de quelques minutes, la cousine parut, portant, dans un vase en forme de pot à eau, du chocolat fumant qu’elle déposa sur la table recouverte d’une nappe de papier. Elle mit le couvert, des tasses épaisses achetées au Fifteen-cent store, des petites cuillers luisantes et jaunes qui sentaient le vert-de-gris. Un pot à confiture servait de sucrier.

Elle sortit d’un tiroir un sac contenant des gâteaux secs au gingembre.

Le prince vint s’asseoir à table, se tint droit, immobile, pendant qu’elle versait le chocolat. Elle vida les gâteaux sur une assiette qu’elle lui présenta, laissant encore une fois échapper son petit rire forcé. Rire héroïque, qui voulait masquer l’insuffisance de ce souper. Le prince planta ses dents aigües dans les gâteaux au gingembre aussi durs que roc. Il ne s’en plaignit pas. Mais au moment où elle emportait à la cuisine les tasses vides, il saisit le sac de papier qui traînait sur la table, souffla dedans et, se penchant, le fit éclater dans son dos.