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marie le franc

à face, chacun mesurant plus de six pieds, deux géants dans le salon bas, prêts à défoncer de la tête la pellicule du plafond.

La ressemblance s’arrêtait là. Autant le Russe était mince dans sa jaquette lustrée et élimée serrée à la taille, autant l’autre présentait d’épaisseur et de solidité. Sa redingote rappelait l’église, les visites dominicales. Son visage rouge, au menton prolongé par une barbiche blanche, était posé sur de redoutables, de massives épaules écossaises, faites pour la lutte.

Le grand loup russe gardait quelque chose de furtif dans l’allure, un élan retenu, un bondissement différé.

Le ministre régnait dans cet appartement fragile de palace où les meubles lourds semblaient posés aux quatre coins ainsi que des cailloux sur une feuille de papier prête à s’envoler. À travers la porte en arcade du salon, on apercevait la table à nappe empesée de la salle à manger au-dessus de laquelle il s’inclinerait tout à l’heure en murmurant les grâces ; à l’autre bout, un corridor plein d’ombre fuyait sous son épais tapis vers la bibliothèque où il introduisit le visiteur. Des livres parcheminés mettaient aux murs unis une double peau : il y avait là tous les « Acts » du Parlement canadien depuis sa fondation.

C’est au milieu de ces documents qu’il prépa-