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marie le franc

dait une paire de gants gris. Elle confessait qu’elle ignorait l’hiver russe. Elle arrivait directement de la Californie. Quant au prince…

Elle hocha la tête, le regard en coin dans sa direction : il en avait vu, bien entendu, de plus rudes dans les camps de prisonniers des Bolcheviks !… Son rire contenu se posa en points de suspension au bout de sa phrase.

Le prince regardait droit devant lui.

— Évidemment ! dit-il.

Ce fut tout. Le ton était d’un clair métal sans bavure, vibrant, incisif. La conversation retomba comme une gerbe coupée.

On entendit une voix dans le salon :

— Quand mon mari était en mission à Washington pendant la guerre, nous avons rencontré un ancien général de l’armée blanche, Sergéief. Vous connaissez peut-être ?

Le prince ôta son lorgnon fumé, parut recouvrer la vue.

— Sergéief, de l’armée de Sibérie ? Parfaitement. Je l’ai eu sous mes ordres en 1916. J’étais ministre du ravitaillement des armées sous le régime tsariste. Ah ! Sergéief. Je suis heureux d’apprendre qu’il s’en est tiré. Nous avons fait trois mois ensemble, dans les mines de charbon de Likharév. Moi je me suis sauvé, avec un groupe de