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marie le franc

tribuer. Nous ne disions rien, cloués sur place, mais notre haleine parlait pour nous. Le petit lac tragique descendait en nous à des profondeurs que celui de Blue Sea n’avait pas atteintes. Il nous dégrisait de l’autre. Il passait autour de nos cous son bras pesant et gris et rapprochait nos visages qui dans la journée avaient été occupés à grappiller séparément les offrandes dorées. Nous redevenions semblables à nous-mêmes, vidés du faste qui nous avait éblouis. Il nous semblait que le petit lac ouvrait près de notre oreille sa bouche tremblante pour nous parler. Nous sentions notre visage fondre sous la nuit et notre esprit, bouché par trop de splendeur, ouvrir subitement ses vannes. Nous étions placés en face d’une tristesse que nous avions voulu fuir et sans laquelle nous nous desséchions. Le lac mettait sous nos yeux, avec un calme déconcertant, son abandon séculaire. Incapable de tempêtes, il avait choisi d’être, dans le visage de la solitude, ce regard que rien ne pouvait éclairer. Inférieur à l’autre en beauté, il le surpassait par son indépendance. La barque du garde-feu à l’agressif équipement bleu n’arriverait jamais jusqu’à lui qui se défendait par la palissade de ses joncs et les lances de ses roseaux acerbes. Nous avions repris nos mesures normales. Chacun reconnaissait dans son compagnon ses propres insuffisances et l’inquiétude, habitante