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marie le franc

la respectable Angleterre. Je vous écrirai. J’ai tant à faire !… Voici la manucure. À demain !

Il n’y avait qu’à s’incliner. Il n’était pas dans les moyens d’Annabel de lutter. Je la laissai à ses préparatifs en lui promettant d’être sur le quai à l’heure dite.

Elle arriva quelques minutes seulement avant le départ, accompagnée du colonel Murray, très londonien d’aspect, jeune encore, mince, moyen, à la silhouette sans bavures dans son costume gris de fer — j’eusse décrit ses yeux comme étant aussi gris de fer — parfaitement « valeted » comme disent les Anglais, et je ne sais pourquoi, dans un moment si grave, je remarquai le bon goût de ses guêtres. Le colonel, pas méchant, peu rassuré, avait hâte que sa nièce fut à bord.

C’était un départ tout uni que celui d’Annabel. Pas de brassées de fleurs dans ses bras, pas de multiples boîtes satinées de candies. On ne voyait même point le chauffeur du colonel portant les valises. Et Annabel sans valises était une Annabel vraiment déjà détachée de la terre.

Elle m’embrassa au passage, luttant pour garder ce brave éclair malicieux de ses yeux.

— Vous viendrez voir à Londres l’indésirable Annabel… puisque c’est décidément Londres, souffla-t-elle, et sur son visage, le défi s’effaçait