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marie le franc

tracassez pas, on viendra nous chercher) dit une voix.

La fillette inconnue, assise en tailleur sur les planches, ses épaules carrées couvertes par le rideau de ses cheveux, venait de parler, et il y avait dans le ton de sa voix, à côté du désir de me rassurer, une moquerie subtile comme si elle eût deviné l’inquiétude qui doit envahir l’âme d’une grande personne en semblable circonstance.

Voyant que mon anglais n’était pas à la hauteur de la situation, elle continua en français :

— L’oncle Adams doit venir. Maman lui a écrit.

Nous nous rapprochâmes. Je mis près de moi ma valise, du côté de la rivière invisible, recousue par ses lianes ; elle posa son sac imperméable à ses pieds, du côté du marécage et nous eûmes l’illusion d’être défendues contre tout danger insidieux.

Au bout d’un temps qui me sembla long, on entendit les coups de klaxon insistants d’une automobile, puis une voix cria dans le porte-voix des montagnes :

— An-nabel ! An-nabel !

Sur quoi l’étrange petite fille se dressa sur la pointe des pieds et lança un « Hou-hou ! » aigu comme une flèche qui frappe en plein but.

Plus tard, chaque fois qu’on prononçait son nom, je croyais l’entendre crier au-dessus d’une