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marie le franc

pression qu’il avait accompli un vague et vain devoir de politesse. Pressentant la curiosité qu’il inspirait, il résumait en quelques mots le double objet de son voyage au Canada : une raison commerciale et l’état d’Annabel. Après avoir annoncé cela, il fit une légère pause. Il sentait qu’il touchait au vif de la question. Si tous étaient âprement avides de ce moment de tête-à-tête avec lui, c’était moins l’ingénieur-chimiste que le mari d’Annabel qu’ils voulaient connaître pour lui arracher quelque parcelle de vérité.

Cette vérité, il avait l’air de l’ignorer lui-même plutôt que de la vouloir celer. Son regard si direct se troubla ; sa voix tout à l’heure si précise se fit hésitante, et je me rappelai, à je ne sais quoi de brusquement affaissé dans son buste, que c’était un ancien grand blessé de guerre.

— Je ne sais vraiment pas, dit-il, ce qu’il y a. Les médecins eux-mêmes ne se prononcent pas, ou ce qu’ils disent est contradictoire.

Sa dignité britannique l’empêchait de s’aventurer sur un autre terrain. Que sa femme traversât une crise d’ordre psychique ou sentimental, c’était son secret, et plus encore à elle qu’à lui ; il n’eût pas été bienséant d’y faire allusion devant des étrangers.

Quoi qu’il en soit, il allait s’embarquer seul avec son fils, dans l’espoir que quelques mois de plus