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marie le franc

ment le nom de son mal. On parlait de ses yeux étranges, de sa voix, de ses épaules.

Par amour-propre, la famille inclinait à croire qu’elle souffrait simplement de ses nerfs : a nervous breakdown est si commode pour expliquer tous les désarrois ; quelqu’un murmura le mot de cancer ; d’autres se rappelèrent son hérédité : sa mère morte à l’âge qu’elle atteignait elle-même, qui s’était éteinte lentement dans sa maison après des années de claustration ; ses oncles succombant l’un après l’autre, victimes de la tuberculose, de l’alcoolisme et des drogues, protégés du scandale par leur argent qui leur permettait de recourir, à l’heure où ils se fussent donnés en spectacle, à la maison de santé discrète. Quand on s’informait de l’un ou de l’autre, les familiers murmuraient : He has gone to pieces.

Est-ce que Annabel allait connaître le même destin, « tomber, elle aussi, en morceaux » ? Sa cousine May, la fille aînée du colonel, qui était de son âge et avec laquelle elle était intime autrefois, exprima d’un air pensif l’opinion qu’il ne fallait pas chercher l’explication de l’état d’Annabel dans ses nerfs ou dans sa pression artérielle, dans ses reins ou ses poumons, mais ailleurs. Pour elle, c’était une raison d’ordre intime qui l’expliquait. Après tout, ce mari d’Angleterre, qui avait l’air d’un parfait gentleman, personne ne le con-