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marie le franc

pas ce que j’avais rêvé. Ce ne sont que des bribes d’Annabel Randolph. Des bribes ! Voilà tout ce que je suis.

Son langage devint presque incohérent :

— Je plains mon mari : une femme toujours malade, toujours partie : la Riviéra, la Suisse. Jusqu’à présent, Stephen n’en a pas souffert, il m’accompagnait avec sa gouvernante. Mais lui ! seul dans la maison à Londres avec les domestiques. Ça ne peut pas durer. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux que nous nous séparions ? Chacun referait sa vie.

Sa voix était devenue plus normale, presque basse, et elle s’arrêta comme si elle attendait une réponse à sa question. Car c’était bien une question, non une réflexion inconsidérée qu’elle venait de faire. Et au silence qui suivit, on sentait que ce n’était pas la première fois qu’elle se la posait.

Elle n’avait pas dit : « Il referait sa vie ; mais chacun referait sa vie. » Comment concilier cela avec son état de grande malade ? Était-ce donc dans un drame intime qu’il fallait trouver l’explication de la débâcle évidente qui emportait Annabel ? Ou bien celle-ci était-elle une conséquence d’une condition physique dont j’ignorais la gravité ?