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ton défendaient la retraite farouche d’Annabel et le secret qu’elle y avait emprisonné.

Elle m’avait, quelque douze ans plus tôt, annoncé ses fiançailles avec un officier anglais dont elle avait fait la connaissance vers la fin de la guerre dans un hôpital militaire, ayant réussi, malgré l’opposition de sa famille, à se rendre en Angleterre et à s’engager comme V. A. D.[1] pour se rapprocher autant que possible des lieux où brûlait la poudre.

La guerre finie, elle n’avait fait qu’une brève apparition au Canada, offrant à ses amies une Annabel d’un aspect nouveau qui prenait goût, disait-on, aux « cocktail parties », paraissait aux thés du Ritz avec une cigarette entre ses minces lèvres rouges, aimait une note de couleur violente dans sa toilette et portait les bijoux hérités de sa mère. Les photos qu’on reçut d’elle à cette époque la montraient de profil, un profil singulier et théâtral.

Je ne m’étais pas laissé prendre à ces apparences et je savais qu’au fond elle demeurait un être d’exception dans un milieu tout de surface, qu’elle s’exercerait en vain à la frivolité et serait ramenée aux profondeurs amères. Il est naturel

  1. Infirmière bénévole.