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marie le franc

murs. Je ne parvenais plus à croire à mon absence, qui diminuait de durée, et se réduisait à une traversée furtive et balancée d’un pont transatlantique, la nuit, à la suite de laquelle j’étais revenue chez moi, vêtue de la même robe, avec le plaisir inouï de tenir à la main une clé qui allait me livrer un domicile dans l’énorme ville. Je dépliais le journal que le même vendeur ukrainien venait de jeter dans le vestibule, comme si je n’avais pas été des années partie, et je parcourais des yeux le bric-à-brac des nouvelles des cinq continents étalées sur ses pages innombrables que je laissais au fur et à mesure choir sur le tapis, comme si un vent de départ les eût éparpillées là, dans toutes les directions, pour me donner l’impression, quand je les ramasserais hâtivement en les remettant ensemble, de rétablir l’ordre dans ma vie.

Pourtant je consultais avec une certaine timidité les colonnes où un pays neuf accorde une naïve hospitalité aux nouvelles dites « sociales », annonçant les fiançailles, mariages et déplacements d’un peuple qui se meut comme une seule vague d’une rive à l’autre de son immense continent. Beaucoup de noms m’étaient devenus étrangers comme si par mon absence j’eusse incité toute une population à se désagréger.