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Annabel.

J’étais de retour par miracle dans cette ville étrangère qui fut longtemps la mienne. C’était le soir, un soir pareil à ceux que j’y avais vécus, de mi-septembre, avec une pluie sirupeuse qui tombait des érables rouges et poissait de sombre les trottoirs. Assise sur le bord de mon lit comme sur une malle-cabine, je plongeais dans l’irréalité de me retrouver dans une atmosphère qui m’avait lentement pétrie, de sentir battre les artères de la ville canadienne où se mêlaient et s’affrontaient tant de races diverses, faite pour les batailles du sang, les tourmentes du rêve, les vagabondages d’un pôle à l’autre de l’humain. Il m’arrivait de demeurer immobile de longs moments à m’écouter respirer dans ma maison de jadis, à regarder au plafond les ombres hallucinantes qu’y projetait la colonne de fumée montant de l’hôtel aux dix étages d’en face, quand elle passait sur le soleil, et à suivre les pas incertains de la lumière sur les