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mais de gants. Quand le gel pique les mieux fourrées, vous enfoncez les vôtres dans vos poches avec un air de dédaigner le superflu, de trouver en vous assez de chaleur. Par ce geste, vous rejetez brusquement une caste, vous trempez vos mains dans le froid, comme ces terrassiers que vous passez en route le matin, qui commencent à picorer la terre glacée du fer de leur pioche. Vos mains ne veulent ni donner ni accepter. Elles puisent à leur propre source. Il serait totalement inutile de chercher à déchiffrer les lignes de leurs paumes. Ce sont des mains qui ne se livrent pas.

Que je cesse de me leurrer et de vous abaisser au rôle de pilier de la maison des plaisirs où je dédaignerais de mettre le pied. S’il vous plaît d’y fréquenter, c’est que vous ne craignez pas d’y laisser quoi que ce soit de vous. Vous êtes de carapace vernissée sous laquelle vous restez parfaitement indemne… Votre goût du monde n’est pas vraiment ce qui nous sépare. Vous avez su vous créer une solitude qui vaut la mienne. Les chemins qui mènent à vous sont aussi détournés, longs et sauvages que ceux que je fréquente, et j’eus souvent l’impression de haies infranchissables dressées autour de votre personne. Et surtout une impression de froid subit. Vous irradiez, quand vous vous sentez en danger, du froid, ainsi que certaines bêtes dégagent pour se défendre une