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marie le franc

fourrant dans votre sac les choses en paquet, comme si vous écrasiez entre elles des bribes de sentiment. Vous avez soin de vous munir d’une brassée de journaux sur lesquels vous écraserez aussi vos regards, sitôt à votre place réservée du parlor-car.

Quelle marionnette je fais de vous ! Parlor-cars, sleeping-cars, paquebots et hôtels pourris par l’odeur de luxe, où la bête humaine se réfugie, poursuivie par sa propre lassitude ; offices de boursiers, cercles, lieux de ripailles élégantes, grands buildings publics des Pharaons du siècle, bâtis sur le désert des hommes, voilà le cadre où je vous place. Cadre que vous débordez avec vos puissantes épaules, que vous crevez de votre grand visage clair dont les yeux regardent en face. Vous n’êtes là qu’en étranger. Nous formons à notre petite table un îlot. Il n’y a que moi à être surprise de l’étonnante atmosphère. Je suis la seule qu’elle submerge. Je vous vois isolé par la fumée de votre cigarette, l’amusement de votre sourire. Votre voix, au lieu de se perdre, aboutit à l’unique interlocuteur que je représente. Le cercle que nous formons constitue votre home. L’abat-jour de notre lampe met une oasis dans la stérile lumière.

Cela suffit. Vous prenez le duvet du bonheur. Vous n’avez pas besoin d’emporter celui-ci comme une proie. Rien ne reste sur vos mains, ces mains dures, fines, résistantes, auxquelles je ne vis ja-