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greurs des désirs insatisfaits, et de fuir, la main dans la main, par quelque ruelle déserte, ou de marcher côte à côte dans une avenue où se déverse à cette heure la tranquille limpidité du ciel ? Mais vous avez peur de la ruelle ou de l’avenue où nous ne serions suivis que par nos deux ombres. Vous redoutez l’écho de nos pas, si légers qu’ils se fassent, la résonance de nos voix, quel que soit notre soin mutuel de les maintenir dans la banalité. Vous refusez de voir mon vrai visage. Vous posez sur lui cet insupportable masque : la foule. Vous resserrez votre cœur contre l’émotion ainsi qu’on boutonne son manteau contre le froid. Car l’émotion est un mal physique contre lequel il faut physiquement lutter. La sensibilité pourrait surprendre la créature bien organisée et défendue que vous êtes. Il faut la laisser aux faibles. Vous seriez aussi honteux de vous découvrir sensible que d’être né bec-de-lièvre. Si je vous disais en riant que je vous crois un sentimental, vous rougiriez de mortification. Encore si ce mal s’en tenait à causer un tout petit remous intérieur insoupçonnable du dehors ! Mais qu’il produise chez vous cette étonnante contraction de la lèvre, telle qu’elle s’observe chez les enfants sur le point de pleurer, voilà qui vous est odieux. Il n’y a de salut que dans la fuite. Vous vous vantez de faire vos préparatifs de voyage en quelques minutes,