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marie le franc

Nous eussions pu verser dans l’amitié. Mais l’amitié eût été encore une faiblesse, une condescendance. Les amis se regardent redoutablement de près. Ils diminuent à mesure qu’ils se rapprochent. Toute intimité implique une mitoyenneté dangereuse. On entend les résonances de l’âme, les battements du cœur, le souffle du sommeil, les balbutiements du rêve, les gémissements du cauchemar à travers la cloison. On devient témoin des querelles que chacun a avec soi chaque matin, à l’heure où il faut retrouver son énergie, où l’esprit doit revêtir l’homme. Vous ne sauriez être l’ami d’une femme. Cette idée implique pour vous quelque chose d’anormal, de presque impudique. Vous qui êtes un nageur remarquable et pour qui le bain de mer est un sport de choix, détestez le déshabillage en commun sur le sable. De même le laisser aller d’une intimité que ne justifie pas l’amour.

Il y eut entre nous peu de paroles. Celles que nous avons échangées demeurent. Chacune est gravée. Elle se détache sur le jour, l’heure, le moment, la circonstance où elle fut prononcée, avec la netteté d’une inscription. On peut y revenir en secret autant de fois qu’on le désire, sans crainte de la trouver changée. Les vôtres ont votre intonation, vos grands traits, ces muscles longs qui lorsque je vous regarde me font songer à une