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visages de montréal

comprendre et ne nous permit pas cependant de passer indifférents à côté l’un de l’autre.

Vous voilà aujourd’hui, quoique bien vivant, réduit à l’état de souvenir. Je n’ose essayer de me figurer de quelle manière vous pensez à moi, si je viens encore à vous, de loin en loin, avec un pas, une expression de visage, une voix qui se voudraient assurés. Cela vous appartient : l’image que vous gardez de moi, cette figuration de mon personnage, l’interprétation sans doute fausse, mais tenace, que vous m’avez donnée. Il est possible que je sois aussi une cause de secrète rancœur, je me garde de dire un remords. Vous n’êtes pas de ceux que le remords encombre.

Il faut que vous soyez formidable comme un roc pour que depuis si longtemps je fasse en esprit le tour de vous sans réussir à vous désagréger, à vous ébranler ou à vous diminuer. Ma pensée a beau s’agiter à vos pieds : vous demeurez intact. Elle n’a pas créé la moindre fissure. Je me réjouis qu’il en soit ainsi. J’en éprouve une sécurité secrète. Tout peut bien s’effacer sur le rivage : vous serez là. Je pourrai toujours m’appuyer à vous, avec l’impersonnalité des éléments qui s’appuient, chercher votre ombre, sinon votre substance, qui ne se prête ni ne se laisse pénétrer.

J’en éprouve aussi de l’orgueil… Celui de n’avoir pas plus que vous cédé. Je continue autour