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marie le franc

gardant dans ma direction, votre silhouette immobile en pardessus bourru aux grandes poches carrées dans lesquelles s’enfoncent délibérément vos mains.

Les autres savent la cause de leur agitation. Vous dédaignez de rechercher celle de la vôtre. Vous l’acceptez comme un état chronique. Vous y faites de loin en loin allusion, avec de l’orgueil et une pointe de regret. Vous dites : « J’étais né de cette manière ! » comme on dirait : « J’ai des dispositions pour le calcul. » Vous êtes né surtout dans une île. Les flots battent votre imagination. Il faut franchir toute exaspérante barrière. Vous trouvez à n’importe quelle situation qui se prolonge une atmosphère de servage. Vous faites le tour d’une personnalité familière comme d’un terrain borné, en frémissant d’impatience et en regardant au loin. Pour vous, ce n’est qu’au loin qu’on se cherche, qu’on se poursuit et qu’on se réalise. Vous transportez avec vous vos habitudes. Elles vous accompagnent comme des amis. Une paire d’haltères au fond de votre malle vous garantit au petit lever le même exercice. Du moment que dans une chambre d’hôtel vous retrouvez votre sac de voyage, qu’importe sous quelle latitude ! En mettant les pieds le soir dans vos babouches pliantes de sleeping-car, vous avez la certitude qu’elles chaussent toujours le même homme, et le