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visages de montréal

avec une élégante maîtrise, même les adieux. Dans le taxi qui nous emporte, vous êtes occupé à compter vos bagages, et il vous semblerait inopportun de presser dans la vôtre une main peut-être désagréablement nerveuse. Vous palpez votre poche pour vous assurer que tout est là : le carnet de chèques, les lettres d’introduction, Omar Khayam. Vous n’avez pas besoin de vous assurer de l’état de votre cœur. Il va bien, votre cœur, il palpite, il est éveillé et coloré comme votre visage d’aujourd’hui ; il est anglais, il a mis ordre à ses affaires, il part en voyage. Il s’en va il ne sait où : vers la mine d’or, le pôle ou la jungle. Il s’en va pour des conquêtes peut-être chimériques ou pour que vous rameniez sur votre épaule de grandes dépouilles. Vous avez hâte d’être dans le meilleur coin du wagon, avec le New-York Herald sur vos genoux, ou de descendre dans votre cabine pour prendre d’un coup d’œil la mesure du compagnon que le hasard vous attribua et accrocher votre casquette à une patère avantageuse. Je ne vous verrai pas sur le pont, au moment du « All aboard ! » à secouer votre mouchoir. C’est bon pour les gares parisiennes, le mouchoir. Mais peut-être, lorsque je ne serai plus, au bout de l’embarcadère déserté battu du vent, qu’une ombre presque indistincte, et que le navire sera prêt à sortir de la passe, découvrirai-je, détachée des autres passagers et re-