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et d’autre, en apparence si exquis, en réalité si piètre. Il ne serait plus resté de moi qu’une moitié d’âme. Grâce à vous, j’en demeure une entière. C’est en me heurtant à la vôtre que j’affermis les contours de la mienne. C’est sur votre masse obtuse que je me lime. J’alimente ma lumière pour pénétrer votre ombre. Non que vous m’apparaissiez comme un ténébreux portrait : ténébreux, vous ne l’êtes que par l’énigme que vous demeurez pour moi. En réalité, vous devez présenter peu d’angles, peu de recoins, peu de dédales. Vous ressemblez à une vaste maison d’une seule pièce. C’est quand on essaie d’en faire un appartement moderne à petites chambres qu’on ne vous retrouve plus. C’est quand on cherche à la transformer selon ses goûts, à vouloir y apporter des améliorations pour s’y installer, qu’on se trouve face à face avec vous, l’ombrageux propriétaire. Il faut se contenter de la maison telle qu’elle est. Je reconnais en vous votre pays, je retrouve en vous ses méthodes, sa tranquille et innocente manière d’imposer sa loi.

Toute stabilité de sentiment vous mettrait aussi mal à l’aise qu’une porte fermée à clé, par surprise, derrière vous, ou une chambre où l’on respire avec difficulté. Il vous faut dans la vie sentimentale l’assurance que vous avez toujours au fond de l’âme votre ticket pour une destination