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que je ne reconnais pas, les quelques phrases françaises qui vous servent à vous faire comprendre des douaniers du Havre ou des boutiquiers de la rue de Rivoli. Le tobacconist parisien qui vous entend dire de ce ton flûte : « Allumettes, s’il vous plaît, monsieur ? » en portant la main à votre chapeau, ne se doute pas du tout à quel formidable bonhomme il a affaire.

Est-ce que nous nous doutons, vous et moi, à qui nous avons mutuellement affaire ? Ou bien cette interrogation perpétuelle où je suis vis-à-vis de vous, vous est-elle épargnée quand il s’agit de moi ?… Vous présent, elle m’est assez pénible. Une fois que vous êtes sous d’autres cieux, elle joue son rôle. Elle remplit le vide. Elle change la nature des conversations auxquelles nous avons pris l’habitude de nous borner. Il me plaît de n’avoir jamais fini de prendre vos mesures, de vous examiner sous un certain angle, puis sous un autre, d’apercevoir ce que vous vous efforcez de cacher, la « doublure d’argent », de vous rendre généreusement ce que vous supprimez, de laisser votre personnalité endiguée se répandre en moi. Absent, vous me manquez moins. Nous continuons nos chemins parallèles sans chercher à les faire se rejoindre et s’il arrive que je vous voie en imagination étendre un instant vos longues jambes au coin de mon feu, je ris de l’absurde vision. Vous pourriez tout d’un coup avoir ce tremblement des lèvres,