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marie le franc

que je ne vous donnai pas, — que vous portez toujours dans la poche intérieure de votre veston, avec l’inséparable carnet d’adresses. Vous feuilletez souvent celui-ci en ma présence. Vous ne parlez jamais de l’autre, et cependant la couverture de suède aux lettres d’or semble avoir subi bien des maniements. Il est permis de vous taquiner au sujet de la valise, mais il ne faudrait ni plaisanter, ni interroger au sujet d’Omar Khayam.

En somme, il y a entre nous peu d’interrogations. Parfois, dans les moments de silence, nos regards tracent devant eux de longues avenues de perplexité. Nos regards seulement. Nous reprenons des propos où un indiscret ne surprendrait que de la banalité. Ceux qui nous connaissent ne comprendraient pas que je prête l’oreille à des dates, des chiffres, des statistiques avec une attention passionnée, ni que vous suiviez de cet air amusé ou pénétré ce verbiage féminin dans une langue que je vous emprunte, tour à tour balbutiante ou précipitée, vague ou trop précise, pusillanime ou téméraire, qui se bute aussi brusquement qu’elle se lança et qui revêt sans doute quelque chose du complexe sentiment que vous m’inspirez. Je vous apparais dans l’inséparable vêtement de cette langue étrangère qui doit me donner une physionomie aussi fausse que celle que vous prenez quand vous vous appliquez à répéter, d’une voix