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visages de montréal

suppose, un trait de la ville où vous revenez de loin en loin comme à un port d’attache. Vous seriez aussi mal à l’aise de ne pas me trouver là que de vous apercevoir en arrivant qu’on a démoli votre hôtel. Vous qui vous accommodez fort bien de cette vie de transit perpétuel, dans un changeant décor de pays et de visages, me révélez cependant de loin en loin d’extraordinaires fidélités. Je vous vis faire un détour considérable pour acheter les journaux à votre vendeur habituel, qui n’est par exception ni aveugle, ni béquillard, ni a returned soldier, mais un juif jeune, bouffi et peu rasé, qui tend ses feuilles au bout d’un bras veule et persistant. Je vous vis aussi enfiler une ruelle de blanchisseries chinoises pour vous rendre compte si votre vieux Charlie en pyjama de coton gris, sa natte enroulée autour de sa tête, était toujours là, penché au-dessus de la table à repasser, les joues gonflées d’une eau qu’il vient de happer à même la terrine placée à sa portée, et qu’il va souffler sur le linge avec un bruit de chat en colère… Et cette valise toute meurtrie sous ses étiquettes, et cette fragile tasse de thé que je vous donnai pour la Noël et que vous traînez depuis pas mal de saisons dans vos bagages sans vous en servir jamais, que vous déballez avec une joie émerveillée qu’elle soit intacte… Et ces poèmes d’Omar Khayam dans leur minuscule édition —