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marie le franc

connaître. Je suis stupéfiée par votre jugement : il n’en est pas de plus sûr, de plus bref, de plus justifié, de plus modéré en apparence, de plus sévère dans le fond. Les détails ne vous embarrassent point : vous retenez l’ensemble. Vous palpez entre vos mains capables un caractère, vous pesez dans la balance une amitié. Vous regardez jusqu’au fond du cœur les femmes, vous qui vous vantez de les regarder d’une façon détachée et prétendez être « a man’s man ».

Nous n’avons rien dit de nous-mêmes, nous n’avons pas eu à baisser la voix ; nous nous sommes contentés de rapprocher un peu nos visages au-dessus des maigres fleurs de la petite table, pour pouvoir nous comprendre au moment où l’étonnant orchestre abandonnait la musique russe pour un jazz tonitruant. À peine avez-vous murmuré comme pour vous seul qu’il était bon de se trouver encore une fois ensemble, vous et moi… Là-dessus vous vous êtes brusquement levé : l’affiche de danse annonçait un two-step. Vous avez dansé d’un pas d’homme mûr, un peu lourd, étonnamment rythmé. Nous ne disions plus rien : peut-être chacun de nous continuait-il en dedans la conversation et je me demande avec curiosité si nos propos s’harmonisaient aussi bien que tout à l’heure.

Étrange association que la nôtre. Je suis, je