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zéro heure en lui. De les sentir toutes les deux si éveillées l’indispose. Elles prolongent inutilement la conversation de tout à l’heure : elles sont pleines d’échos et il craint de les heurter en passant. Il trouve que la charmante Marie-Louise, qui s’est rougi le bec avant de sortir, a l’air d’un oisillon au bord de son manteau de fourrure. Lui flâne déjà dans une autre capitale. Il a la nostalgie violente d’un visage de femme encadré d’un châle, portant quelque flamme noire dans les yeux, quelque haillon rouge à la place des lèvres, qui le passerait en route sans rien dire, le laissant fendu de désir.

Les trois hommes suivent. Il sent bien qu’ils s’amusent énormément. Il voit l’ombre gesticulante de leurs cannes. Il devine que le mauvais temps n’a pas de prise sur eux, qu’ils sont chaussés épais et sûr, que la rue, leur rue, ne présente pas d’embûches. La soirée n’est que commencée : après avoir déposé le grand homme à son hôtel, ils savent où trouver le restaurant chinois, où manger les chop suey ou le honey dew, où boire une orangeade qui sent la Floride. La porte tournante l’engouffre encore une fois : le voilà passé de l’autre côté de ces jeunes trente ans, dans un monde réchauffé. Il ne distingue plus sur le trottoir que deux manteaux de fourrure qui se montrent de dos et dissimulent leurs occupantes aussi complètement que