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marie le franc

d’or. Il noue d’un seul regard des steppes. Il va au cœur des problèmes, sonde les poitrines, nettoie les plaies. Cet écrivain est un peu chirurgien. Il a changé trop brusquement de zone. Et sur ce trottoir où il patine avec ses souliers trop minces, il n’est pas sûr de son équilibre. Il ne sait trop si cette impression de froid pénétrant n’est qu’atmosphérique.

Le groupe de camarades vient par derrière, à une certaine distance. Il les a englobés d’un coup d’œil de connaisseur. Ils sont étiquetés : des « jeunes », gentils. Non point négligeables. De futurs « quelqu’un ». Des diplômes plein leurs poches, et une incroyable puissance de dissertation sur tous les sujets. La Sorbonne dodeline du bonnet par-dessus leurs têtes. L’un corrige Homère devant ses élèves, méprise Barbusse, murmure : « Ah ! Claudel ! » d’un ton de gourmet, refusant de donner sa recette aux prolétaires. L’autre joue au tennis, aux dames, aux week-ends à la campagne, à la diplomatie, et va étudier la question des pêcheries à Terre-Neuve sur le bateau du gouvernement. Le troisième est un bon garçon charmant qui dit si joliment « Marie-Louise », somnole un peu sur ses trente ans, s’échauffe quand les autres s’esclaffent, dédaigne le sujet de conversation gonflé que toutes les mains se passent, et ramasse celui qu’on a laissé tomber ;