Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.
155
visages de montréal

de venir au-devant de lui. Elle se tenait grave, souriante, au milieu du « petit groupe ». Elle présentait l’amie dont le nom s’effilocha dans la rafale. Il ne retint que l’impression qu’il l’avait déjà entendu, qu’il devait être cousin de celui de Marie-Louise. Il marcha entre les deux femmes comme s’il les eût prises par le bras. Il avait besoin d’être soutenu et réchauffé. Il était arrivé le matin en ce pays étranger, avait passé la journée en visites officielles, de sorte que la ville à peine entrevue ressemblait à un logement nouveau où l’on débarque à la nuit. Il se heurtait aux choses et aux gens. L’air était glacial comme une porte de corridor et lui battait au visage. Sur le trottoir, les dernières neiges roulaient, pelaient, s’écrasaient au souffle acide du vent. On pataugeait dans le jus gras et blafard de cette vendange de printemps.

Lurcain a froid. Il y a huit jours, il parlait à Cuba, devant un auditoire en dentelle, dans une atmosphère éventée par les palmes. Il y avait quelque chose d’une galopade de chevaux sauvages dans le bruit des applaudissements. Ceux de ce soir furent différents, gantés de laine eût-on dit. Il n’est pas bien sûr d’avoir empoigné son public. Il n’est pas de ceux qui cherchent à plaire. Il parle d’une bouche sans ornement. Un vent de haut étage l’emporte. Il crache dans les fleuves