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marie le franc

avant de sonner, pour secouer la neige du col de mon manteau et laisser à mon visage le temps de redevenir d’une couleur normale.

Quand je me moquais de mes doigts gourds qui ouvraient maladroitement le livre à couverture jaune aux coins retroussés, elle me considérait un instant, se rappelait que le mercure du thermomètre placé à l’extérieur du sun-parlor était descendu au-dessous de zéro, riait nerveusement et s’écriait d’un ton émerveillé : « Ma foi ! » et personne ne disait ce mot avec autant de gentillesse, de conviction et de naïveté.

Ma personnalité n’intervenait jamais entre nous. Il y avait assez de la sienne, qui ne présentait rien de pesant, ni d’encombrant, ni de défini. Son inexistence même en faisait l’attrait. Nous ne pouvions être gênées par des confidences auxquelles Florence ne s’était point livrée, et que je n’avais jamais sollicitées. De son côté, tout était à dire, et du mien, tout à apprendre. Elle représentait un sujet. Je me demandais à chaque visite dans quel état j’allais la trouver. Je ne voyais d’elle que des apparences sous lesquelles la vraie Florence se débattait. Peut-être ne connaîtrait-elle que ces apparences. Les autres allaient jusqu’au bout de leur drame intérieur, se laissaient tuer par lui ou le tuaient. Savoir de quoi l’on souffre n’est que banalité. Celle-ci n’était que