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visages de montréal

mait à demi les yeux, comme s’il lui causait un déchirement intérieur.

Quand on eut quitté l’abri des maisons, le vent se fit sentir et le soleil sembla se délayer dans l’air plus froid. Le ciel seul régnait, magnifique à voir, s’exhaussait à mesure que la campagne, devenue plus plate, prenait l’aspect d’un marécage noyé de neige où les bois n’étaient plus que des taches d’ombre. Ciel vertical, avec des montagnes perpendiculaires de nuages blancs qui laissaient entre eux des fissures d’azur bleu et des vallées d’argent où le regard voyageait avec délices.

Le visage de ma compagne s’assombrissait. Tourné maintenant du côté de l’ombre, il avait l’air en proie à une décomposition subite, creusé, avec deux rides encadrant la bouche contractée. Les yeux meurtris par le froid se cerclaient de rouge et des taches de rousseur apparaissaient sur les joues. Quand nous arrivâmes en vue des serres, elle refusa de descendre, et d’un ton de panique cria au cocher de faire volte-face.


Elle ne m’interrogeait jamais. Elle ne cherchait pas à savoir dans quelle médiocre pension je pouvais loger, comment je réussissais à arriver jusqu’au haut de Pleasant View à l’heure où elle m’attendait, les matins où les trams arrêtés par la tempête ne circulaient plus, même dans la ville basse. Je prenais quelques instants, sous le porche,