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marie le franc

ne pouvais deviner ce qui la faisait souffrir, mais j’étais sûre qu’elle méritait d’être plainte.

Cette pitié était entre nous. Florence en avait conscience. Je crois même qu’elle lui faisait du bien et qu’elle l’acceptait tant qu’elle demeurait inexprimée et ne reposait que sur des motifs vagues. Parfois elle soupirait : « Mon pauvre mari… Il est nerveux aussi… Il ne peut pas dormir… Les affaires sont difficiles… »

Elle était la proie de toutes sortes de nostalgies, parlait longuement de ses années de pension en Angleterre. Ses souvenirs sentaient les vertes pelouses et les haies d’aubépine, les chevaux et les chiens.

Elle fut la première à m’entretenir des bois canadiens où son père et ses oncles possédaient un club de chasse où l’été elle les accompagnait parfois. C’est à travers ses récits que m’apparut d’abord la masse liquide et verdâtre, à l’aspect de gouffre, enclose de bois sombres, qu’était un lac du pays. Je l’aimais déjà passionnément par ses descriptions, et plus tard, dans la réalité, il ne présenta jamais ni cette profondeur, ni cette gamme de verts qui faisait éprouver une sorte de vertige. Je voyais Florence penchée à une fenêtre entourée de lianes, retenue à elle par ses longs cheveux et ses membres déliés, sondant du regard les eaux énigmatiques.