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marie le franc

l’impression de détresse. De nous deux, cette fille de millionnaire était à plaindre.


Quelques années plus tard, je montais lentement la colline de Pleasant View et jetais un regard en passant sur la maison de Florence.

Qu’était-elle devenue ? La colline commençait à changer d’aspect. En face du bastion gris qui autrefois se dressait seul au sommet, une maison neuve apparaissait, d’apparence assez banale, au milieu d’un terrain pris sur la montagne et déjà transformé en une pelouse d’une belle tenue.

Une large galerie abritée par un auvent de toile flanquait le premier étage. Une voix descendit de là, versée par l’ombre qui y régnait, la voix cuivrée et caressante que je connaissais bien, celle de Florence qui m’appelait.

Elle était étendue sur une chaise-longue, et à mon approche rejeta la couverture de voyage qui enveloppait ses genoux. Sous le gros manteau bourru qu’elle avait mis pour sa sieste en plein air, apparaissait sa robe d’un vert de printemps qui me rappela les daffodils et les narcisses au milieu desquels je la trouvais autrefois. C’était toujours Florence avec ses beaux cheveux, son corps de blood-hound russe, ses yeux roux, chauds d’accueil, où gîtait la même détresse, son sourire qui se cassait vite.