Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.
135
visages de montréal

penchante au bord de ses entreprises, toujours prête à verser dans un nouveau projet. Je la trouvais en train de transporter un pot de fleurs de la serre dans le salon, ou d’arranger dans de minces vases de verre les daffodils et les narcisses, les jours où elle attendait des amies pour le lunch. Ses longs doigts se confondaient avec les tiges fragiles, craquantes de sève printanière, et devenaient une autre espèce de fleurs.

Je m’assoyais sous le portrait de Florence. Elle me criait : « Wait ! » et pour être sûre de se faire entendre, répétait, comme s’il se fût agi d’un seul mot : « Wait-Attendez ! » en mettant un peu d’hésitation caressante dans la façon d’en prononcer les syllabes françaises.

Je ne me rappelle guère que nos exercices de prononciation, car c’est à cela que Florence tenait par-dessus tout. Elle pouvait rester en place un quart d’heure à prononcer le mot lit-té-ra-tu-re. Elle s’assoyait sur un pouf carré, en face de moi, et appuyé d’un côté sur une main qui reposait sur le tapis, le corps penché, avec une légère angoisse sur ses traits, répétait lentement les syllabes. L’r nous désespérait toutes deux, et la lettre u qu’elle prononçait ou avec persistance, en surveillant mon visage. Elle avait pourtant conscience de ce merveilleux et cristallin domaine du